Nous aimerions vous partager un texte qui nous a profondément touchés. Il ne s’agit pas d’un simple récit de carrière, mais d’un véritable voyage, fait de détours, de rencontres marquantes, de passions qui naissent parfois là où on les attend le moins, et de moments de vie d’une intensité rare.

François Verdy y raconte son parcours avec une sincérité désarmante, une plume sensible et un regard humble sur ses réussites comme sur ses échecs. Derrière les anecdotes, on découvre surtout un professionnel habité par son métier, profondément humain, et guidé par une passion : le cœur, dans tous les sens du terme.

Bonne lecture, et prenez le temps de savourer chaque mot.
PS : Ce texte était adressé à Monsieur Didier Stuckens, un des fondateurs de la SIAMU à l'Hénallux 

 

" J’ai toujours eu de la chance, beaucoup de chance dans mon parcours... 

 Namur un :  échec cuisant 

Comme disait un célèbre chanteur, à 18 ans, j’ai quitté ma province, bien décidé à empoigner la vie. À l’époque, je m’étais inscrit à l’université de Namur, anciennement nommée « Facultés Universitaires Notre Dame de la Paix ». Le cœur un peu trop léger, il ne fallut que peu de temps pour que l’ambiance universitaire prenne le dessus sur la vie d’étudiant à proprement parler … et d’autres dépenses ont eu raison de mes économies. J'étais, il faut bien le dire, un des plus grand parmi les grands fantaisistes.

Retour case départ : Tournai

 Contraint de restituer la valeur de l’effort à sa juste valeur, j’ai travaillé à temps partiel pendant 8 ans dans une chaine de magasin de bricolage, afin de renflouer les caisses destinées à payer les livres que je devrais bien rouvrir un jour. En parallèle, je me suis inscrit à Tournai, où j’ai passé mon bachelor en soins infirmiers. J’y ai rencontré une professeure extraordinaire, la Doctoresse Ronsmans, qui nous a obligés à dessiner encore et encore le cœur humain. Mes premiers croquis étaient comparables aux peintures de Mondrian, mais à force de travail, et après plusieurs … milliers de dessins, cela a commencé à ressembler à un cœur. Probablement fût-elle la première charnière de mon cursus car elle avait semé en moi une passion qui m’anime encore à ce jour.   

Namur deux : le retour  

C’est à la fin de ces trois années que je suis revenu à Namur, pour compléter ma formation avec la spécialisation en « SIAMU ». Les cours se donnaient dans un local situé au fond d’un couloir sombre d’un bâtiment adjacent à la clinique Sainte Elisabeth de Namur. Les portes avaient des vitres translucides lignées verticalement. Je m’en souviens comme si c’était hier. C’est là que je t’ai eu comme professeur d’urgence, en 2006.

Décidé à ne plus reprendre le même chemin que celui pris trois ans plus tôt, je m’étais imposé un comportement académique « irréprochable ». A ces fins, je m’étais donc assis au fond à gauche dans la classe. Dernier rang, à côté du gros radiateur en fonte qui chauffait à outrance. Je me souviens encore de nos fous rires et des heures de cours que nous passions dans ces locaux d’une autre époque. La notion de relativité prenait tout son sens selon qui donnait le cours et mon « comportement académique irréprochable » ne l’était plus tant. 

Je me souviens évidemment de tes cours, mais aussi de ceux d’APP (apprentissage par problèmes, l’année pilote), du Professeur d’ECG et de Madame Roussel, qui nous donnait le cours d’urgence pédiatrique. J’étais à mille lieues de penser qu’un jour, ils me demanderaient tous deux de donner leurs cours aux étudiants et que cette dernière deviendrait, 10 années plus tard, la marraine de ma petite … Elisabeth. J’ai donc dispensé aux étudiants SIAMU les cours d’ECG et d’urgence pédiatrique de 2009 à 2019. 

Au « Bleu Sarrau » (commerce de vêtements professionnels), nous nous étions fait faire une veste fluo qui était du « dernier cri ». En dix fois plus gros que n'importe qui, notre nom s'étalait dans le dos. Des souvenirs magnifiques et une année riche en apprentissages. Pour l’anecdote, te souviens-tu qu’à la fin de ton examen oral d’urgences, tu m’as posé beaucoup de questions, auxquelles fort heureusement je parvenais à répondre, car ma distraction légendaire avait fait l’impasse sur le verso de toutes les pages de ton examen écrit ? il y a toujours une raison quand on finit deux fois plus vite que les autres un examen.   

Et puis, il y a eu cette sortie, à mon avant-dernier stage de l’année. Probablement le second moment charnière de ma future carrière. Le message radio émis avant le départ disait dans un léger grésillement : « SMUR-CHR ; contact départ pour accident voiture, deux personnes incarcérées ». (Le Système ASTRID n’existait pas).

C’est ce jour-là que, fier comme Artaban, je montais dans le break Volvo V70 « SAMUR » du CHR de Namur pour aller sur le terrain, et enfin « mettre les mains dans le cambouis ». Le message disait vrai : deux personnes incarcérées, mais il ne précisait pas que c’étaient deux enfants de 5 et 7 ans à l’arrière du véhicule. Démuni et mourant de trac devant cette situation, je me suis imposé mon dernier stage à l’hôpital des enfants de Bruxelles (HUDERF) afin de pouvoir pallier mes lacunes. Ce dernier stage à l’HUDERF a complétement redessiné mes perspectives. 

Les soins intensifs de cardiologie pédiatrique de l’HUDERF sont très vite devenus bien plus qu’un travail, une passion captivante. Pendant les six années passées à l’hôpital des enfants, je me suis imposé de dessiner chaque cœur d’enfant, avec chaque pathologie et chaque correction chirurgicale, et ce, dans les trois dimensions. Merci Doctoresse Ronsmans, la graine que vous aviez semée a germé. Je me suis donc peu à peu spécialisé dans le domaine de la chirurgie cardiaque pédiatrique. Pendant ces merveilleuses années, j’ai également été pris sous l’aile bienveillante de personnes merveilleuses. Je pense à la Professeure Willems, dont l’amitié persiste, qui m’a fait rentrer comme instructeur dans le programme européen de formation de réanimation avancé néonatale et pédiatrique. Je pense également à Luc Rondelez, le perfusionniste qui m’a régulièrement « invité » à venir « trainer » en salle d’opération cardiaque. Ces derniers avaient attisé ma curiosité, ils avaient compris comment je fonctionnais ! C’est également dans cette unité que j’ai fait la première plus belle rencontre de ma vie, mon épouse actuelle. Avec le recul, je sais que j’ai eu raison de rester de 2007 à 2013 en « stage » à l’HUDERF. 

Départ vers la Suisse

En 2014, Mon épouse et moi sommes venus en Suisse car je souhaitais me former en techniques de circulations et d’assistances extra-corporelles. J’ai donc suivi le master en CEC / perfusionniste à l’Université de Médecine de Zurich. Habitant à Lausanne, ces années étaient pour le moins épuisantes car, en parallèle, j’étais employé comme praticien hospitalier formateur spécialisé USI pédiatrique et néonatale – responsable du programme de formation par la simulation par le Département Médico-Chirurgical de Pédiatrie (DMCP) du Centre Hospitalier Universitaire Vaudois (CHUV). J’ai toujours aimé donner des cours à l’université de Lausanne dans le cadre de la prise en charge pédiatrique et néonatale. J’ai travaillé dans ce service de néonatologie intensive entre avril 2013 et août 2018. 

C’est au cours de ma première année de master à Zurich que j’ai eu l’occasion de vivre la seconde plus belle rencontre de ma vie, qui malheureusement fut de trop courte durée : notre premier fils, William. Les deux années qui ont suivi furent interminables. Nous marchions, mon épouse et moi, au bord d’une crevasse abyssale, sans cesse attirés par le vide, et incapables de tourner le regard vers l’immensité blanche baignée de lumière. William nous a, Valérie et moi, soudés, encordés à vie. Nous ne pouvions tomber, ou alors, nous tombions à deux. Je n’ai compris que bien plus tard que j’avais, une fois de plus, beaucoup de chance car un jour viendra où j’irai le rejoindre et ma famille aura alors un ciel avec des étoiles qui jouent et qui rient. 

La troisième plus belle rencontre de ma vie, c’est Henri, qui a pointé son nez deux ans après son grand frère. À 33 semaines de grossesse. Je me souviens que j’allais chercher un enfant en hélicoptère pour un double pneumothorax lorsque Valérie m’a appelé pour me prévenir de sa venue. Le décollage fut annulé et quelqu’un d’autre a pris ma place. Ce fut avec un immense honneur que mes mains ont accueilli notre fils dans ce monde.          

 Après la naissance de Henri, toujours conjointement à mes études à Zurich, j’ai fait un petit séjour à la direction générale des soins du CHUV, en 2018. J’étais responsable de la prescription médicale informatisée et de la sécurité du dossier médical au sein du Département Médico-Chirurgical de Pédiatrie.

 En 2021, alors que j’étais sur la dernière ligne droite de ma thèse de doctorat (enfin, c’est ce que je croyais), la quatrième plus belle rencontre de ma vie s’est présentée : ma princesse blonde à moi, notre fille Elisabeth. Pour elle aussi, j’ai tenu à la mettre au monde, que mes mains l’accueillent parmi nous. C’est cette année-là que j’ai également eu le grand privilège de me voir attribuer le cours de « techniques de circulations extra-corporelles avancées ; CEC pédiatrique » à l’Université de Médecine de la Sorbonne à Paris.

J’ai finalement été diplômé de mon doctorat en 2023 par l’Université de Zurich. Le thème de ma thèse portait, évidement, sur la protection myocardique en CCV pédiatrique (ou plus simplement, comment préserver au mieux le cœur d’un enfant lorsqu’il est arrêté pendant la chirurgie cardiaque). 

Tout au long de ma carrière, j’ai voulu partager mes connaissances avec des étudiants. Par égoïsme, probablement, car j’en apprends bien davantage que ce que je ne leur enseigne. En effet, je leur demande souvent comment suis-je censé leur enseigner une matière que l’on ne maitrise pas ? Comme le dit l’adage : « tôt ou tard, l’élève trouve son maitre », mais un jour viendra, je leur montrerai qu’ils ont du talent et que je n’étais que leur élève.

 Je voudrais profiter de ces lignes, pour remercier toutes celles et ceux qui m’ont offert ce parcours que j’ai fait mien ; ma famille, mes amis, mes professeurs, mes rencontres, et tous les autres. Je remercie également mes patients (aussi petits soient-ils) et leurs parents, de me confier la tâche la plus impensable, mais ô combien merveilleuse, de suspendre, le temps de la chirurgie, les battements de cœur de ceux qu’ils chérissent le plus. 

 Alors oui, mes traits ont vieilli, bien sûr, sous mes habits verts. Mais l’esprit est là, le geste est précis et j'ai du ressort. Mon cœur s'est assagi un peu en prenant de l'âge, mais j'ai des idées, j'connais mon métier et j'y crois encore !

François VERDY"